LA FEMME DE MENAGE
Nouvelle
Velina Minkoff
Des bus rouges Icarus, des trolleybus bleus et des voitures rutilantes Lada, Volga, Trabant, Wartburg, Skoda et Moskvich, et des énormes camions Zil filaient dans les deux sens sur les pavés le long du grand boulevard Patriarch Evtimii. Le bruit était terrible. Ils fonçaient devant le Mémorial de la guerre, traversaient les rails du tramway après la pharmacie Apteka sur le boulevard Vitosha. Un voile d’essence au plomb flottait dans les châtaigniers. La suie se glissait à travers le double vitrage des grandes fenêtres de notre immeuble et recouvrait tout l’intérieur d’une fine poussière noire.
Nous vivions dans un appartement spacieux au deuxième étage. Mon frère et moi n’avions qu’un an de différence et nous partagions une chambre qui donnait sur le boulevard. Comme le salon et la chambre de nos parents. La cuisine, avec le seul balcon de l’appartement, et la salle à manger vitrée que tout le monde appelait ‘le jardin d’hiver’ donnaient sur la cour arrière. Là, des pruniers reine-claude et des tilleuls se dressaient au-dessus des parterres de fleurs et des massifs de rosiers. Les allées des jardins ondulaient autour d’eux, menant toutes au terrain de jeux avec une pagode, un bac à sable et des agrès. Les allées étaient couvertes des mêmes dalles de ciment que les trottoirs de la ville – on aurait dit d’énormes plaques de chocolat gris. Sur eux paradaient les chats de gouttière qui vivaient dans l’allée sombre dans les poubelles cylindriques de métal dont les couvercles défoncés ne fermaient jamais correctement. Les chats y pénétraient à la recherche de nourriture et sautaient, effrayés, quand un enfant de corvée ôtait les couvercles pour y vider le saut familial d’ordures ménagères.
A l’étage au-dessous de notre appartement, la camarade Ruskova avait fait attacher une corde du balcon de la cuisine jusqu’au prunier reine-claude le plus proche par son mari le camarade Ruskov, et le linge y pendait sans arrêt. Des chemises de nuit roses, des peignoirs verts, des débardeurs d’homme, des pyjamas ocres avec ou sans rayures, des caleçons blancs. Ruskova apparaissait souvent à son balcon hurlant qu’Untel ou Untel des étages supérieurs avait balancé ses cendres de cigarettes, secoué ses nappes ou arrosé ses plantes sur son linge propre. Elle nous houspillait tout le temps avec mon frère parce que nous essayions de nourrir les chats en contrebas en leur jetant la peau des saucisses sèches ou du lait bouilli du balcon de notre cuisine. Nous appelions les animaux de la cour arrière en lançant des bruits de baisers et ils se rassemblaient près des rosiers juste sous la corde où pendait le linge. Les appétissantes peaux charnues et laiteuses flottaient doucement vers les têtes des félins attentifs, mais elles ne les atteignaient jamais parce qu’elles se prenaient toujours dans le linge propre de Ruskova.
Tante Maria – pas notre vraie tante, on l’appelait juste comme ça - venait faire le ménage chez nous. Une fois par semaine. De tôt le matin jusque tard le soir. Elle lavait les fenêtres qui donnaient sur le boulevard, dedans et dehors, elle faisait la poussière des meubles, frottait toute la salle de bain, sans oublier un seul carreau bleu pâle. Elle sortait tous les tapis, les étalait sur le rebord du balcon et frappait la poussière avec une tapette de métal. Puis elle les laissait s’aérer et rentrait s’occuper des sols – parquet de bois et mosaïque en pierre. Elle faisait l’appartement tout entier à quatre pattes, frottant avec un chiffon humide chaque centimètre et tirant à elle sa grande bassine rouge pleinе d’une eau savonneuse. La salle à manger du jardin d’hiver qui donnait sur la cour arrière avait des fenêtres du sol au plafond et une partie ne s’ouvrait pas. Pour pouvoir les laver, Tante Maria grimpait sur le rebord extérieur et rampait de haut en bas sur la vitre comme un lézard.
Le samedi était un jour de travail pour Tante Maria et elle ne le manquait jamais. Sauf cette fois où elle a été renversée par un tram en traversant la rue Graf Ignatiev en venant chez nous. Mais elle est montée sur le trottoir, s’est époussetée et a entrepris de reprendre sa route comme si rien ne s’était passé, même si quelques citoyens responsables et un milicien ont décidé de lui appeler une ambulance. Tante Maria a alors passé la journée aux urgences de l’hôpital Pirogov jusqu’à ce que le soir les médecins aient dû reconnaître qu’elle allait bien et l'ont laisser partir. Cette fois-là elle est venue le dimanche, annonçant qu’elle ne pouvait pas laisser notre mère dans la saleté toute la semaine, avec la poussière volant du boulevard et ses deux garçons qui mettaient la pagaille partout. Elle venait travailler même quand elle était malade, avec un thermos de thé et une plaquette de cachets d’Analgine-quinine. Elle se versait du liquide chaud dans le bouchon du thermos, avalait bruyamment deux cachets verts d’Analgine-quinine, remettait la plaquette dans la poche de sa blouse bleue de travailleuse d’usine et continuait à nettoyer. Si jamais elle nous trouvait malades à la maison avec une note du docteur pour l’école, elle nous forçait immédiatement à nous lever et à l’aider, car nous ne pouvions pas simplement rester couchés à la maison sans rien faire, sinon elle allait nous dénoncer aux camarades professeurs. Comment se pouvait-il qu’elle n’ait jamais manqué le moindre jour de travail, même quand elle était malade.
Maman avait le plus grand respect pour Tante Maria et son dévouement, au point quand si Tante Maria cassait un de nos vases en crystal en faisant la poussière, maman ne disait rien - elle allait simplement au magasin de souvenirs du Centre culturel de RDA ou de Tchécoslovaquie pour en acheter un autre.
Chaque fois que Tante Maria nous grondait pour quelque chose, Maman l’approuvait. C’est Tante Maria qui avait découvert les crottes de nez sèches que nous avions dispersées sous la table à café avec mon frère tout en regardant les programmes de télé pour enfants. Elle nous avait crié dessus et nous avait forcé à les frotter avec l’éponge de métal qu’elle utilisait pour récurer les pots et les poêles. Maman l’avait soutenue et elle avait ajouté que si nous fourrions nos doigts dans nos nez, nous abimerions nos nerfs optiques. Nous avions quand même continué. Mais nous ne savions plus alors que faire de nos crottes de nez, car nous ne voulions pas que Tante Maria les découvre sèches quelque part et nous oblige encore à les nettoyer. Alors nous avions décidé de les manger. Todor, un camarade de classe de mon frère, avait dit qu’il les mangeait, et qu’elles avaient un goût salé. Sauf que la fois où Tante Maria a pris mon grand frère en train d’enfourner une crotte de nez dans sa bouche, elle a hurlé sur lui et lui a fait récurer comme punition la baignoire avec le produit abrasif Koral qui sent si mauvais.
Le samedi, Papa travaillait toute la journée, nous étions à l’école jusqu’à l’heure du déjeuner. Après son travail de la matinée, maman laissait Tante Maria seule à la maison pour aller au salon de coiffure. Une fois elle est revenue avec une coiffure très impressionnante en forme de ruche, un énorme bouton au sommet de sa tête. Ils allaient à une soirée officielle avec Papa. Elle est tombée à la maison sur une Tante Maria hystérique, qui essayait de chasser avec le balai à tapis un pigeon encore plus hystérique – l’oiseau avait de toute évidence été trompé par les fenêtres grandes ouvertes et était entré dans le jardin d’hiver. Il est passé plusieurs fois au-dessus de la tête de maman, puis a plongé avec des gargouillis droit dans son chignon en forme de ruche. Quand elle et Tante Maria ont enfin réussi à chasser le pigeon de la pièce, le maquillage de maman coulait sur ses joues et ses cheveux partaient dans toutes les directions, couverts de duvet et de plumes. Mon frère et moi n’avions jamais rien vu de si drôle de notre vie, mais maman nous a puni dans nos chambres jusqu’au diner avec interdiction d’écouter des histoires sur le gramophone.
Pendant les vacances d’été, il n’y avait pas école, bien sûr, alors nous étions supposés passer tous nos samedis à la maison avec tante Maria pendant qu’elle faisait le ménage. Cela ne nous plaisait pas tant que ça, alors une fois, maman nous a emmenés avec elle dans l’énorme salon de coiffure de la rue Rakovski en face du marché coopératif. L’odeur de la teinture pour cheveux nous a fait suffoquer. Maman a d’abord fait colorer ses cheveux, puis elle s’est allongée sur quelque chose comme un lit d’hôpital derrière un rideau et une camarade vêtue d'un tablier blanc a répandu un truc blanc sur son visage, dessinant des cercles autour de ses yeux et de sa bouche, comme le masque d’un effrayant fantôme. Puis, après un long rinçage de ses cheveux et de son visage dans différents lavabos, elle s’est assise sous un casque pour cosmonaute pendant des heures. Avec mon frère, nous avons joué à Ne t'en fais pas encore et encore, puis nous nous sommes mis à nous disputer, et une parmi les dizaines de camarades coiffeuses est venue dire à maman que le salon de coiffure n’était pas un endroit pour les petits garçons. Sur le chemin du retour nous nous sommes arrêtés à la boulangerie au coin du lycée français où il y avait encore des pirojki fourrés au fromage de la fournée du matin, alors nous avons demandé à maman de nous en acheter un chacun pour nous remettre de nos émotions. Elle a refusé fermement – cela nous couperait l’appétit pour le déjeuner.
Depuis ce jour-là, maman s’est rendue seule au salon de coiffure en nous laissant à la maison avec Tante Maria. J’avais juste six ans, mon frère – sept. Avant de sortir, maman nous donnait l’ordre de bien nous tenir, de faire tout ce que Tante Maria nous dirait et de ne passer des disques d’histoires seulement si notre respectée femme de ménage nous y autorisait. Nous mourions d’envie d’écouter les grands disques de vinyle noirs brillants qui rendaient vivants ces contes magiques – Tom Sawyer, Buratino, Gulliver, Le nain Long-nez, Casse-noisettes, Petit Oignon ... Ils n’étaient pas coincés avec leur femme de ménage parmi les balais et les serpières humides, ils étaient loin du rugissement de l’énorme aspirateur soviétique et des bassines pleines d’eau savonneuse embusquées derrière chaque porte de la maison.
Tante Maria prétendait que d’écouter les disques n’était qu’une excuse pour paresser, et qu’elle n’arrivait pas à nettoyer derrière nous. Que nous avions empilé les bouteilles dans le débarras, que nous ne les avions jamais rapportées comme nous l’avions promis et qu'elles ne faisaient que prendre la poussière. Et que nous n’éteignions jamais la lumière dans le débarras. Il était vrai que la quantité de bouteilles vides était énorme, de Schweppes, de bière, même d’huile de tournesol, nous nous ferions certainement beaucoup d’argent en les rapportant. Mais chaque fois que nous allions au kiosque à consigne de verre sur le boulevard voisin F. Iv. Tolbukhin, celui avec les peupliers, le camarade qui y travaillait était soit en congé, soit soumis à une inspection sanitaire, soit c’était le moment des comptes. Avec le temps, nous avions amassé tant de bouteilles à la maison que nous aurions sans doute à y faire trois allers-retours en traînant des filets à provision pleins de bouteilles. C’était pour ça qui nous évitions d'y penser et d’entrer dans le débarras.
Tante Maria a continué encore et encore, que nous mettions des miettes partout, que les vitres de notre chambre étaient toujours couvertes de traces de doigts graisseux. Pourtant, nous essayions de ne pas salir partout pendant que nous prenions nos tartines pour goûter sur le sol à côté du gramophone plutôt que sur la table, pour mieux entendre les histoires. Et les marques sur les fenêtres n’avaient pas été faites par nos doigts, mais par nos nez, parce que la nuit, après que maman et papa nous avaient bordés et éteint la lumière, nous sortions du lit pour nous coller à la vitre et regarder de l’autre côté du boulevard. Dans un appartement en face, une femme allumait régulièrement dans ses trois pièces sans tirer les rideaux. Elle allait et venait à travers les pièces soit en culotte et soutien-gorge, soit en culotte sans soutien-gorge, une fois même en soutien-gorge sans culotte.
A l’occasion Tante Maria nous donnait de l’argent pour aller à la pâtisserie. Mais seulement si nous avions été sages – si nous avions rangé tous nos vêtements dans l’armoire, tous les livres sur l’étagère, ramassé nos jeux, nos cartes et nos chaussures. Nous devions mériter cette récompense. Nous allions immédiatement à la rue Graf Ignatiev, où à côté des trams passant dans chaque direction, il y avait aussi de nombreuses pâtisseries. La Prespa avec ses épais parfaits blancs à la crème mais où on servait aussi du café cubain, alors il était plein d’adultes assis à fumer. La Raketa avait des énormes, sirupeux tulumba et du boza sortant d’un robinet dans le mur, mais il n’y avait que deux petites tables et un bar qui étaient toujours occupés. Notre grand favori était le Nu, Pogodi! à côté du jardin d’enfants russe Nadejda Kroupskaïa. Il était fait spécialement pour les enfants, et les murs étaient peints avec des scènes du dessin animé russe du même nom, avec le loup pourchassant le lapin. Les tables étaient très basses et on s'allongeait dans des fauteuils en demi-cercle juste de notre taille et on s'empiffrait de gâteaux au chocolat décorés de fleurs en confiture et de cacahouètes enrobées de sucre appelées flocons de neige, que nous arrosions de grands verres de sirop à la cerise et de nectar d’abricot.
Un de ces jours-là, après que Tante Maria nous a récompensés pour notre bon comportement avec l’argent pour les pâtisseries, nous avons découvert une nouvelle friandise en vente au Nu, Pogodi! – de la mousse au chocolat dans des tasses en plastique. Nous avons décidé de prendre d’abord notre menu habituel puis d'essayer la mousse, mais nous étions si pleins à la fin que nous n’avons même pas pu. Nous n’avions pas assez d’argent pour deux tasses de mousse de toute façon, c’est pourquoi la camarade derrière le comptoir nous a conseillé d’en emporter une à la maison et de nous la partager plus tard. Elle nous a donné deux cuillères en plastique qui ressemblaient à des pelles. Nous sommes rentrés à la maison par les petites rues et en route nous avons déjà eu envie de manger la mousse parce que sa croûte riche et chocolatée se brisait en morceaux mous tandis que le reste de la texture se liquéfiait. Dès que sommes rentrés à la maison, nous nous sommes assis sur le sol parfaitement propre du salon à côté du gramophone, nous avons placé Docteur Aybolit et nous avons commencé à avaler le chocolat avec les petites pelles de plastique.
Tante Maria avait sorti les tapis sur le balcon pour en battre la poussière. Camarade Ruskova lui criait dessus, parce que la poussière tombait sur sa lessive propre. Tante Maria lui a crié à son tour qu’il était temps pour elle d’enlever son linge, et que battre les tapis n’était interdit qu’entre quatorze et seize heures, quand les gens étaient supposés faire la sieste. Et que Ruskova et son mari devaient certainement se balader nus toute la journée puisque leurs vêtements étaient constamment suspendus à la corde dehors. Mon frère et moi écoutions avec des gloussements retenus, sans se montrer, car le jour d’avant nous avions mangé des cerises sur le balcon. On avait ramassé les noyaux dans un sac en plastique comme maman nous l’avait dit, mais les cerises pourries on les avait jetées sur les chats. Ils avaient cru que c’était à manger, alors ils s’étaient mis à les grignoter. La camarade Dr. Kumanova du troisième étage, de retour chez elle après son service de nuit à l’Hôpital de Ville n°1 au coin de la rue, buvait du café et fumait sur son balcon. Elle nous avait crié de ne pas jeter de cerises aux chats, parce que ça leur donnerait la diarrhée, et qui alors nettoierait la puanteur dans la cour. Elle avait brisé notre concentration et une cerise pourrie s’était écrasée sur la combinaison propre de camarade Ruskova.
Tante Maria a battu la poussière des tapis malgré les cris de Ruskova et les a laissés prendre l’air, puis elle est allée faire les fenêtres du jardin d’hiver d’abord avec un chiffon humide, puis avec un sec. Nous nous sommes assis près du gramophone sur le parquet nu pour manger la mousse au chocolat et écouter attentivement le méchant pirate Barmaley, l’ennemi du docteur Aybolit, qui était sur le point de kidnapper ses animaux. L’histoire était si fascinante que nous la connaissions par cœur, et la mousse au chocolat était si liquide que nous en avons mis partout avec nos pelles en plastique. Tante Maria venait juste de monter sur le rebord extérieur de la fenêtre pour laver le panneau de verre qui ne pouvait pas s'ouvrir. Elle a vu la mousse au chocolat goutter et elle a secoué l’un des chiffons furieusement dans notre direction, elle a perdu l’équilibre, elle a fait plusieurs battements avec les bras et s’est envolée dans l’air en arrière. Pétrifiés, nous avons foncé vers la fenêtre – nous avions tué Tante Maria avec notre négligence ! En regardant en bas nous l’avons vue tourner autour du linge suspendu de Ruskova agitant ses jambes dans chaque direction et aboyant des menaces. Quelques secondes plus tard sa culotte jaune pâle a brillé sous sa blouse bleue et elle a chuté cul par dessus tête dans les rosiers.
Nous avons foncé vers le téléphone. J’ai insisté pour que nous appelions papa au travail, parce que nous ne pouvions pas appeler maman au salon de beauté. Mon frère, néanmoins, a dit que nous devrions appeler une ambulance. Nous avons commencé à nous battre pour le récepteur. La sonnette de l’entrée s’est mise à sonner frénétiquement. Mon frère m’a poussé en direction de la porte d’entrée et m’a dit de l’ouvrir pendant qu’il composait un numéro. Dans l'affolement, j’ai oublié de demander qui était là et j’ai ouvert la porte toute grande. Tante Maria a déboulé, enragée, couverte de cerises pourries, de pétales de roses et de diarrhée de chat. Elle a hurlé contre nous que nous n’étions que deux cochons dans une porcherie, dégoulinant partout sur le parquet qu’elle venait juste de laver et de cirer.
Nous sommes sortis de l’appartement en courant. Sur le palier, nous avons été bousculés par la camarade Dr. Kumanova qui devalait l’escalier en peignoir et par l’équipe d’ambulanciers, en vestes blanches qui montait. En zigzaguant entre eux, nous avons réussi à sortir de l’immeuble, haletants. Mon frère avait juste assez de monnaie pour deux plaques de chewing-gum Ideal, alors nous en avons acheté une chacun. Ils n’avaient ni goût ni couleur, mais si on les mâchait assez longtemps ils finissaient par faire d’assez grosses bulles. Nous avons filé alors vers le magasin de disques Balkanton à la place Slaveikov. La camarade vendeuse nous avait dit qu’elle recevrait Le Vaillant Petit Tailleur cette semaine. Andrei du cinquième étage l’avait déjà, nous l’avions écouté chez lui et nous rêvions de l’avoir aussi. Nous n’avions qu’à en réserver un au magasin. Ensuite nous aiderions Tante Maria à nettoyer le débarras, nous rapporterions toutes les bouteilles et nous serions riches. Nous pourrions acheter le disque avec l’argent gagné et écouter l’histoire du tailleur, un type si simple, petit, mais tellement malin et invincible.
Velina Minkoff est neé à Sofia, Bulgarie en 1974. Elle est diplomée en littérature et écriture créative de UCLA, Californie et également de l’Ecole de Traduction Littéraire du CNL à Paris. Elle a publié en anglais le recueil de nouvelles Red Shorts (Colibri, 2001) puis le roman Le Grand Leader doit venir nous voir (Actes sud, 2018), version française de son texte bulgare Rapport de l’amibe verte sur le crayon chimique (Colibri, 2015). Buisson brésilien (Colibri, 2018) en bulgare revient aux formes courtes et est nominé pour les prix Portal Kultura et Yordan Radichkov. Les Shorts rouges est son premier recueil de nouvelles en français (Hémisphères, 2020).