L’Homme désaffecté
Recueil en cours
(extraits)
à Christophe La Posta
Enfant des bas quartiers
j’ai d’abord été balayé
par l’ivresse des cimes
Puis j’ai durablement été bouleversé
par les aléas de l’existence
qui quelquefois nous abuse
ou qui nous réserve ses surprises
nous éblouit s’adresse à nos émois
Aucune école ne portera mon nom
Pourtant j’ai su pour la République
verser mon sang offrir mon torse glabre
J’ai déjà donné beaucoup de fièvre
et de très nombreux frissons
Il n’y a pas pire que la peur
Mais les muscles jamais
ne remplaceront l’esprit
Je ne marcherai plus à reculons
je n’enfilerai pas mon pardessus
je ne plongerai pas non plus tout nu
dans l’eau bouillante
Je me rapprocherai chaque jour davantage
de la vieille maison
Elle sera mon asile ma demeure ancienne
enterrée sous des buissons de peine
perdue dans la forêt des songes
et depuis longtemps abandonnée
Je ne mangerai plus mon enfance
restée derrière moi en panne
Je ne refuserai plus ma chance
et je ne renoncerai à rien
rien de sérieux en tout cas
Plus rien ne filtrera.
*
« La sève est du champagne et vous monte à la tête »
Arthur Rimbaud, Roman
La sève du temps est tarie
Les fleurs du passé sont fanées
Nos âmes sont flétries
Une cascade de larmes
ne nous épargne guère
ne nous épargne rien plutôt
ni les revers ni les jets de pierres
ni la ferveur ni la misère
ni la chance ni l’embarras
ni le chagrin ni l’étreinte
ni l’espoir ni la perte
Une cohorte de cris sourds
soudain se dévoile
Les sommets noirs
de cette année de malaria
sont remplis à ras bord
Une armée de silences se rétablit
et c’est assez inattendu maison morte
habitée par des ombres folles azur lointain
L’horizon se débouche
les langues se délient
Le bleu du ciel interrompu
a retrouvé ses vieilles gloires
Nous dont les paroles
sont à la fois mélodie et précipice
Nous les barons fiévreux de l’imposture
Nous gueule de bois mauvais sang
après les lendemains qui chantent
Nous enfin camarades
enfants blessés soleils meurtris
adolescents sublimes à l’orée du passage
En cette année de terre froide
où la lumière fut blessée
où les obstacles furent abondants
nous avons gardé en nous
l’espérance d’un jour fine fleur
aux accents de révolte et d’Éden
C’est la dernière minute ou ligne droite
après les siècles frustrés les siècles
épars et les heures gaspillées
Camarades il ne faudra pas
attendre plus longtemps
L’Histoire s’observe
jamais plus ne se confond
Les barrières infranchissables
ont été repoussées au loin dans la cour
Le temps est hors normes malchanceux
Le temps est la pieuvre
de nos désirs de nos cauchemars
La pleine lune bleue de l’autre nuit
a aperçu le jour d’assez près
a aperçu le jour d’après
Les yeux sont béants les oreilles à l’écoute
le monde entier cherche une issue
Les feuilles des arbres à notre grande surprise
bientôt seront piétinées ou ramassées
Un jour nouveau se lève
lavé de tout soupçon
Il va nous falloir camarades
sans plus tarder courir vers notre risque
et saisir la balle au bond
la balle
au
bond
Vénissieux, du 3 au 28 novembre 2020