Le Corps Invisible
« Je suis sur le point de cueillir la pomme dont la rougeur vire vers le fuchsia sous les rayons solaires, quand j’entends un cri venant de loin. Je sursaute, j’hésite, le désir de croquer le fruit l’emporte. Je m’en saisis de mes longs doigts, je le détache de la branche, mes dents blanches s’y enfoncent comme dans le corps d’une femme tant désirée. Un frisson parcourt mon dos, mes bras, mes mains alors que je termine d’avaler le fruit juteux. Les cris lointains s’élèvent de plus en plus dans les parages. J’accours vers ma maison en parcourant le long chemin serpentant qui m’a mené vers le pommier. Arrivé chez moi, je découvre une foule de gens en noir, j’entends des sanglots, je m’effondre car je devine que mon grand-père malade depuis très longtemps vient de trépasser. Les cris que j’ai écoutés pendant que j’étais auprès de l’arbre étaient donc ceux du deuil. Je m’assois par terre en croisant les jambes, je pleure, je m’étends sur le sol, je regarde le ciel en me souvenant des mots de mon grand-père : « Ne mange jamais du fruit de l’arbre qui s’élève au bout du chemin menant à la forêt ! L’un de mes amis est devenu bizarre après en avoir savouré le goût délicieux ! ». Mes larmes coulent, je contemple les nuages, je ferme les yeux, le visage de mon grand-père me revient à l’esprit, mon cœur se serre.
Quelques jours après les funérailles, suite à une longue promenade à pieds, je me repose dans l’un des cafés de la place du village, je lis la bible que mon grand-père m’avait offerte avant sa morte. Je n’ai jamais feuilleté ce livre Saint, mais à présent j’y tiens car il est l’unique souvenir d’un mort tant aimé. Mon regard mélancolique se pose sur la fontaine dont l’eau limpide coule au milieu de la place produisant un bruit doux qui se mélange à celui des conversations des villageois.
Portant une belle robe de couleur claire, une jeune femme au visage familier apparaît, ses cuisses minces et musclés attirent mon attention. Bien qu’elle ne soit qu’une inconnue, j’ai l’impression de la connaître depuis très longtemps. Alors qu’elle se penche pour boire l’eau, son beau corps blanc, dont semble se dégager une certaine lumière, devient visible à mes yeux écarquillés de surprise, d’éblouissement et de stupeur. Ses habits, qui semblent avoir acquis la transparence de l’élément aquatique, deviennent tellement translucides que je parviens à admirer la nudité du corps de la belle. Mon regard erre sur les visages des gens assis dans les cafés qui environne la fontaine. Personne ne semble s’apercevoir de la présence de la jeune femme dont les petits seins blancs m’excitent. Un frisson secoue mon corps, je suis sur le point de pousser un cri, je ferme les yeux, je les ouvre de nouveau. Elle a disparu, elle n’est plus là. Je me demande si j’ai été l’unique témoin d’un miracle diabolique qui m’a permis de vivre l’expérience la plus sensuelle de ma vie. Incapable de trouver une explication à ce phénomène bizarre, je me hâte de revenir chez moi, je m’esseule dans ma chambre, je rêve.
Tentant de comprendre l’expérience étrange que je viens de vivre, je ferme les yeux, je réfléchis, je me rends compte que tout est possible, qu’il suffit de perdre la raison pour jouir, que la magie existe même au sein de notre monde régi par le rationalisme excessif. Au temps des prophètes, les miracles ne surprenaient personne. C’est ainsi que je m’assoupis le long de la journée. Vers six heures du soir, je me réveille, le corps trempé de sueur. Je me hâte de prendre ma douche, je me lave le corps, le savon coule sur mes bras, mes jambes, ma poitrine. Je pense à elle, à l’inconnue dont la nudité s’est majestueusement révélée à mes yeux, je me demande si elle serait en train de s’exciter en ce moment en pensant à moi. Serait-elle en train d’imaginer mon corps se confondre avec le sien sous l’ombre de l’arbre aux fruits juteux ? Souhaite-t-elle que je la pénètre sur le sable d’une plage au sable doré ? J’ai l’impression qu’elle partage avec moi ce délire érotique qui m’entraîne à sa guise vers un destin inconnu. Comme je suis convaincu qu’elle aussi brûle probablement d’un désir né du mien, je me hâte d’aller à sa recherche.
Je sors de la maison, je me dirige d’un pas rapide vers la place du village où je la trouve en train de se frotter les mains sous l’eau de la fontaine. Nos regards se croisent, elle a de beaux yeux, une longue gorge blanche, une merveilleuse chevelure châtain clair. Elle s’approche de moi, nous échangeons quelques paroles, elle sourit gracieusement. C’est en ce moment que j’assiste à la merveilleuse métamorphose de ses seins qui deviennent pointus sous mes yeux. Je suis l’homme le plus heureux du monde ! Le lendemain, notre rencontre aura lieu au sein de la nature, elle me le promet. Elle me tourne le dos, je contemple ses fesses. Un désir intense de les toucher se saisit de moi, je le réprime immédiatement. Mon cœur palpite alors que je reviens chez moi d’un pas rapide.
Le lendemain matin, alors que les rayons solaires brûlent ma tête, je parcours le sentier qui me mène vers la forêt. La voilà qui apparait portant un chapeau de paille sur la tête. « Touche-moi, murmure-t-elle ». Alors que je tends la main vers son ventre dont le nombril m’attire, me fascine, me bouleverse, elle pousse un soupir profond « Touche-moi, répète-t-elle ». Je ferme les yeux, elle se déshabille, je la regarde. Voici son corps qui rayonne sous mon regard charmé par sa sensualité qui devient de plus en plus concrète. Je me demande alors laquelle je préfère, est-ce cette nudité réelle ou celle que je voyais grâce à mon don exceptionnel ? Je me rends compte que ce sont les corps couverts d’habits transparents à mes yeux qui m’intéressent le plus car en les contemplant je jouis de la magie de la transgression extraordinaire. Elle s’approche de moi, je la prends dans mes bras, je pose un baiser sur sa gorge, je la pénètre alors qu’un oiseau s’envole vers le ciel bleu, une cerise tombe d’un arbre, un chien noir aboie au loin. Je suis heureux de m’unir à ce corps qui me permet d’accomplir une fusion cosmique avec la nature.
C’est ainsi que nos rencontres se multiplient au sein de la verdure de la campagne jusqu’au jour où une autre femme m’attire par sa nudité visible à mes yeux. Alors qu’elle s’approche de moi, je me rends alors compte que je suis capable de contempler uniquement les corps nus de celles qui me séduisent en m’enivrant par leur charme sensuel. Les corps des autres, celles qui ne me plaisent point, restent invisible à mon regard. Il suffit que je m’excite pour que les habits d’une belle deviennent transparents à mes yeux. Plongé dans ces réflexions étranges que je ne peux partager avec aucune personne, je me rends compte de l’absence de la jeune femme qui bavardait avec ses amies sur la table d’un café. Je me lève d’un mouvement subit pour aller la chercher. Alors que je passe auprès de la chaise où elle était assise, j’entends un portable déposé sur la table sonner. Je m’en empare, je lis le message envoyé : « On se retrouve à Balerina dans un quart d’heure ». Je me rends compte alors qu’elle se dirige vers un club où l’on apprend le Ballet classique. Je la suis d’un pas rapide.
Comme je n’ose pas pénétrer la salle de danse, je me contente d’observer de l’extérieur à partir d’une fenêtre entrouverte les reflets des danseuses qui apparaissent dans le miroir s’étendant le long du mur. D’abord, les ballerines commencent par s’exercer sur les barres en bois au son d’une musique classique. Lorsque je commence à me réjouir de l’œuvre célèbre de Tchaïkovski Le Lac des Cygnes, je vis le plus beau spectacle qu’un homme puisse contempler. La nudité des corps de ces merveilleuses femmes se mit à se révéler progressivement à moi. Une lumière émanant de la blancheur de leur peau, des seins, des fesses, des joues, des pirouettes en l’air, des pieds s’élevant en pointe, de longues jambes, des bras minces, des sauts de chat, des tutus, des pas de bourrés me plongent dans un enivrement extatique. Ô chevelure noire apanage du sexe féminin dont j’ai tellement envie de sucer la sève dorée ! Ô extase charnelle ! Je plonge dans l’admiration de ce spectacle exceptionnel à la beauté indescriptible, aucun mot ne parvient à en exprimer le charme sublime, rien ne peut égaler l’ébahissement solitaire qui se saisit de mon esprit.
Une fois la classe de danse terminée, je reviens chez moi d’un pas rapide, je m’esseule dans ma chambre, impressionné par les merveilles dont j’ai été l’unique témoin. Ce soir-là, je veille jusqu’à une heure tardive, car je me souviens des paroles de mon grand-père m’avertissant des pommes qui rendent les gens bizarres. Je finis par m’endormir vers trois heures du matin. Le lendemain matin, des coups frappant à la porte de la maison me réveille, je sors de ma chambre, ma mère apparaît en demandant à haute voix : « Qui est là ? ». Personne ne répond. Elle finit par ouvrir, c’est ainsi que je te vois pour la première fois ma chère Tati ! ».
-C’est vrai ? demande Tatiana à son mari Mickael.
Allongée auprès de son époux extrêmement troublé sur leur lit conjugal, la main dans la main, la joue contre la joue, la femme glisse sa tête qu’elle dépose sur la poitrine de l’homme de sa vie. Elle continue à l’écouter narrer au rythme du battement de son cœur qui exprime sa passion, son amour et son excitation.
-Sur le seuil de notre maison, tu apparais dans toute ta splendeur. Ta peau blanche rayonnant sous le soleil estival réveille en moi une rêverie douce, inhabituelle et sensationnelle. Portant un sac plein de cartes postales, tu nous proposes d’en acheter quelques-uns. Ma mère t’invite à entrer chez nous. Assis tous les trois sur le canapé du salon, nous contemplons les tableaux et les photos présentés sur les cartes que tu as l’intention de nous vendre. Un cèdre, un coucher de soleil, un tableau de Van Gogh reproduits sur les cartons blancs attirent mon attention. C’est lorsque tu nous montres la toile de Chassériau où se manifeste la nudité de la Vénus Anadyomène sur une carte postale que je me rends compte que j’ai envie de toi sans être capable de voir ton corps enveloppé par le tissu d’une longue robe à la couleur opaque. Tes seins, tes fesses, ton sexe demeurent mystérieusement invisibles à mes yeux. Ta beauté cachée réveille en moi des sentiments profonds, mon cœur palpite, mes mains se réchauffent. Je finis par acheter la carte postale où la nudité est merveilleusement peinte par l’artiste célèbre du XIXème siècle. Nos regards se croisent, nous décidons de nous rencontrer sur la place du village auprès de la fontaine.
Mickael et Tatiana éclatent de rire suite à la fin de ce récit étrange que l’époux a raconté à sa femme. Leur fille ouvre la porte de la maison en s’écriant : « Je viens d’apporter la pilule ! », elle se hâte de remplir un verre d’eau qu’elle tend à son père bipolaire. Elle lui donne le médicament, alors que Tatiana s’écrie : « J’adore la folie de mon mari ! J’ai envie d’écouter encore une autre histoire bizarre ! Ah ! Que ce remède est détestable ! Perdre la raison, c’est sublime ! ». Le mari avale le médicament, plonge dans un sommeil profond sous le regard larmoyant de sa femme qui ne se rappelle point de tous évènements évoqués dans le récit imaginaire de Mickael.