Les barricades mystérieuses

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Les barricades mystérieuses 


 

 

1

Clement Greenberg perçait des trous

dans le plafond, assez gros

pour qu’il pût y passer la tête

De ses amples ailes du nez

cocaïne d’air frais

il sniffait de ce jour

notre pain quotidien

Son serviteur, tout

aussi optimiste, l’assista

avant d’aussitôt renoncer

Donne-moi donc le fond,

a-t-il dit un rien résigné

puis il a fait un puits

 

2

Le matin, je voulais y passer

à vélo, mais il était déjà trop tard

L’asphalte éventré barrait

l’allée en monticules de déblais

Laisse-moi passer, j’ai supplié,

accorde-moi un dernier regard

Ni les chansons ni les bougies

n’agirent comme lubrifiants

Je t’en prie, père Clement,

au besoin, je peux porter un nœud pap

Hélas, sa conscience de classe l’emporta

Découragé je me suis assis sur une pierre,

J’allais renoncer quand lumineux

je me suis relevé et ai crié

« Kafka est un Juif »

Un sourire de reconnaissance

m’a laissé entrer et j’ai accédé

au passé

 

3

C’est tellement beau ici

ai-je dit à personne

en particulier

du moins, il faisait sombre

et au fond ça sentait

bon l’humidité

ainsi sans quiconque

Plus je m’enfonçais

plus j’éprouvais du plaisir

Il y avait pas mal de clémence

rien qu’un vermisseau çà et là

par moments en outre une taupe

 

4

Petites bêbêtes, j’ai dit,

vous êtes déjà au courant ?

Je suis votre

nouveau passé

Tout le monde a bondi

et m’a chatouillé

sous les caresses

 

5

J’ai retrouvé mon ancien moi

dans un container, abandonné

près d’un groupe d’enfants

qui suppliaient qu’on les adopte

On nous a fait attendre dans une pièce

qui puait la chair en putréfaction

L’un d’eux n’arrêtait pas de hurler

Pourquoi !? Parce que !?

Un déficit, exprimé sous forme

d’excédent, m’a consolé

sous les fenêtres sans rideau

Je me suis bercé de mots à m’endormir

jusqu’à ce que l’heure adopte

la perfection du matin

 

6

En dernier lieu, j’ai écrit

une lettre en mauvais alexandrin

que j’ai laissée sur son répondeur :

Cher Clement,

Accablant le poids

qui jamais ne désamorce

le fond de sa force

Il voulait de l’Histoire sur terre,

m’a-t-il répondu,

au besoin du céleste en guise

de certitude, détente et confort,

jonglant dans une solitaire jungle

de perceptions immédiates

 

7

Sur du sel et de l’asphalte mouillé

j’ai étalé ma joie

un T-shirt rehaussé de logos

ou du peuple doté d’identifiants

J’ai maudit mes cordonniers

fait cahin-caha le tour d’une fosse,

balancé par terre du pain de ce jour

regardé une nuée de choucas

se désagréger sans résister

 

8

Après avoir envisagé des réparations

je n’ai finalement rien changé

 

 

Traduit du néerlandais par Daniel Cunin

 

 http://flandres-hollande.hautetfort.com

https://www.les-plats-pays.com/series/tresors-caches

 

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