LE NÉANT
Traduit de l'arabe par Ali Bader
J’ai l’air si douce —
et cela me coûte cher.
Il m’a fallu démonter ma vie
en cent points d’exclamation,
puis...
ajouter,
un point d’interrogation.
J’ai l’air mince —
et c’est bien naturel,
car chaque jour
une part de moi s’en va.
Un jour,
j’ai oublié le chemin de la maison,
et mes pieds ont fondu.
Il est arrivé que
je trahisse mon amour en partant,
et j’y ai perdu mon cœur.
Mon esprit s’est figé
le jour où mon pays s’est effacé.
Hier, j’ai perdu mon moi-même,
et égaré mes yeux.
Je ne vois plus.
Où suis-je ?
Qui suis-je ?
« Tout ira mieux »,
disent les autres, pour passer outre
ce qui est arrivé.
Mais toi seul sais
combien, et ce que cela a coûté :
pétrir ton âme dans la douleur,
la cuire au feu du temps,
pour découvrir, en vérité,
que rien ici n’est devenu meilleur.
Entourée d’amis,
je m’assieds au café —
je commande un cocktail de néant
et je mange un plat de vide.
Rires prétendus,
yeux éteints, bouches bâillonnées —
tous sont des pronoms absents :
il, elle, eux, elles.
J’ai besoin d’un pronom de la deuxième personne,
à qui parler,
et qui m’écoute.
Ici,
l’égarement entoure tout :
il voile les yeux,
recouvre les peaux,
étrangle la tendresse,
et momifie le sentiment.
J’ai besoin de
plus de solitude
pour survivre.
Seule la solitude
tue la solitude,
et seule la vie
fait pleurer la mort.