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Larmes pour la beauté du monde

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Larmes pour la beauté du monde

 

Traduit par Catherine Vermassent et Ali Bader

 

Dʿad Haddad a écrit :
« Je suis celle qui porte des fleurs à sa propre tombe et qui pleure d’un trop-plein de poésie. »

 

Eh bien… moi aussi, j’ai souvent pleuré d’un excès de poésie,
pleuré d’un excès de beauté,
pleuré d’un excès d’éblouissement.

 

Un jour, j’ai pleuré pour l’âne de Fellini. Il racontait :
« À sept ans, mes parents m’ont emmené au cirque. Les clowns m’ont terrifié : je ne savais pas s’ils étaient des animaux ou des fantômes. Le lendemain, j’ai rencontré le clown Pierino ; je n’en ai pas eu peur. Il fut le premier d’une longue lignée de clowns tristes que je devais croiser. Je me suis approché de lui, conscient déjà qu’un lien secret nous unissait.

 

Plus tard, j’ai suivi un cirque qui passait près de Rimini. Ils furent étonnés qu’un petit garçon les ait suivis si loin sans qu’ils s’en aperçoivent. Ils m’ont laissé laver un zèbre malade — quelqu’un lui avait donné un morceau de chocolat. Depuis ce jour, jusqu’à mes soixante-dix ans, je n’ai jamais oublié le toucher de son poil mouillé. Ce que ma main a senti alors ne m’a jamais quitté. Je ne suis pas un homme très émotif, mais quand je l’ai touché, il m’a touché aussi. Il a touché mon cœur. À qui pourrais-je raconter cela ? »

 

Et toi, tu me diras sans doute :
« Je pleure chaque fois que je lis ce texte, chaque fois que j’imagine un enfant de sept ans caressant le pelage d’un zèbre triste. Cette image me brise le cœur. »

 

J’ai pleuré aussi pour le torero Ernest Hemingway, l’écrivain ruiné, lorsqu’il écrivit à son maître Ezra Pound qu’il était descendu dans l’arène, qu’il en était sorti couvert d’égratignures, mais grisé par le triomphe, les applaudissements, le respect du public. Il décrivait l’arène comme le seul lieu où bravoure et art s’unissent pour créer la réussite.

 

J’ai pleuré encore pour l’amant Hemingway, celui qui, à dix-sept ans, aima une infirmière pendant la Première Guerre mondiale. Il écrivit L’Adieu aux armes. Catherine Barkley y était la plus douce et la plus belle des femmes — celle qui emmena Henry de son côté, laissant le monde derrière eux, le suppliant de ne jamais laisser ce monde les reprendre, afin qu’ils ne redeviennent pas étrangers.

 

J’ai pleuré sur les mots de Talal Haidar, me demandant comment un être humain peut lire ou entendre :


« Ton visage est un climat, comme le beau temps… étourdi mais non ivre. »
ou encore :


« Quand tu te réjouis, des colombes s’envolent de ma poitrine ; quand tu es triste, je te donne la Syrie entière à la place du Liban » —
et ne pas se lever pour crier au monde qu’il préfère mourir d’une overdose d’amour ou de beauté ?

 

Aujourd’hui, je pleure pour José Mujica, le plus noble des chefs, qui passa dix ans en isolement, deux autres dans un abreuvoir à chevaux, avant d’aimer à nouveau son pays, portant ses blessures vers l’avenir — car on ne peut pas vivre éternellement avec la rancune.

Et je prie :


Seigneur, ne retire pas Damas de mes mains, et ne me retire pas de ses mains.
Je n’ai jamais trahi un lieu que j’ai aimé.
Laisse-moi là-bas, parmi les doux, les cœurs purs, les ivrognes, les pauvres.

 

Car je suis, comme Riyad Saleh al-Hussein, 

ardente comme une braise,
simple comme l’eau,
claire comme un tir de pistolet,
et je veux vivre ici, loin des pierres qui ne savent pas aimer la musique, la poésie et la beauté.

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