POEMES

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Traduit par Daniel Cunin

 

Basses terres

 

Par le col encaissé

nous gagnons les basses terres

où sous une fine strate tout est enseveli :

hommes, animaux, objets-zombies.

Le ciel, interface lisse et froide.

 

se penche sur nous

sépare la peau du sang.

 

Au-dessus des basses terres

scintille un arc-en-ciel, trace de freinage de pétrole

 

aussi asymétrique

que des fissures dans la roche-mère fracturée.

 

On les exhume, les objanimains

qui ont fusionné, ont coagulé

dans l’angle mort du capital

 

nous les étirons

les comprimons

en un famélique fil :

 

plie-le en une armure

un couteau

une faucille

 

d’un symbole magique

fends l’interface.


 

 

II. Vendange

 

Une immémoriale sagesse chimique

coule dans le sang de la limule

 

s’injecte dans nos veines

comme rêves d’un corps sain.

 

Un exosquelette ne protège en rien contre le capital.

Malgré son sang bleu, la limule vit dans la précarité.

 

Des fossiles vivants s’échouent

sur une plage noire et meurent

 

sous l’effet de la chaleur

un miroir se fêle.

 

De la fissure s’extirpent des limules

par dizaines

par centaines.

 

La catastrophe finale est multiforme

revêt bien des noms

 

vient du plus profond de notre corps

notre corps fosse océanique

 

le retour de l’opprimé.

 

Je rêve mon vaisseau sanguin

délivré des bactéries

 

je rêve mon corps submergé

de limules

par centaines, par milliers

des limules électriques.

 

Je rêve une île

au milieu d’une vendange de sang

sans fin ni commencement.


 

IX. Ère profonde

 

Dans la zone crépusculaire nucléaire

animaux, plantes et

minéraux de la terre

ont acquis des forces inavouées

bien plus considérables que celles de l’homme.

 

Les éons passent :

 

Cactacées

Birguscées

Limulidacées.

 

Les couleurs quittent les choses

fluent confluent dans le sable

au rayonnement de plus en plus dur

de plus en plus saturé

 

et tous les marchés

empilés au fil des siècles

au petit bonheur les uns sur les autres

 

s’effondrent les uns après les autres

 

jusqu’au moment

où la structure délabrée

s’écroule

 

formant une flaque dure et géométrique

dans laquelle nagent les animaux

au milieu de l’argent mort.

 

Partout naissent de nouveaux organismes

dans une explosion de vie

comme au cours du Cambrien.

 

Sur une île immémoriale

de plastique

les mousses de polystyrène se multiplient

à l’ombre

de vieux et vénérables arbres en polyester.

 

Ici vivent les esprits des hommes.

 

 


 

XI. Glace

 

La plaine s’étend à l’infini

blanche sous le soleil brûlant :

 

terre d’un magnifique plastique, en extension,

baignant dans le crépuscule verdâtre

d’un hiver nucléaire.

 

Sur la glace noire de l’Arctique

nous chassons l’algue

 

doubles grisâtres

des premiers hommes

mâchant une plante amère, grimaçante.

 

Un récif corallien blanchi et friable

enseveli sous des vagues de sable

offre un abri à nos corps tendres :

 

le récif mort

demeure poreux

absorbe rayonnements toxiques

les minuscules cristaux vert venimeux.

 

Les plantes encore en vie

sont noires et poisseuses

comme le pétrole.

 

Elles grimacent :

 

l’hégémonie

du capitalisme solaire

l’économie de la photosynthèse

touche à sa fin.

 

Elles tirent leur nourriture

de bactéries assoupies

tout au fond de la glace noire.

 

D’une voix glaireuse

elles chuchotent des choses sur la révolution

 

une nouvelle ère

 

un soleil souterrain

humide, sombre.

 

Mon corps déborde

d’animaux fondus

qui attendent de se coaguler

avant de renaître.

 

La glaire primitive

qui peu à peu me noie

est douce et mouillée

 

dégage une odeur d’entrailles

d’un iceberg.

 

Magnifiques, les esprits

des vieux animaux

dans la nuit nucléaire.


 

 

XVIII. Hymne

 

L’électricité coule dans mes veines

 

un objet magique

coule dans mes veines

 

mille gouffres

grouillant de vie

coulent dans mes veines.

 

Les gènes exécutent une lente danse latérale

dans mes veines.

 

La main invisible

d’un marché mort

touille dans mes veines le liquide contaminé

 

une procession de planètes

parcourt mes veines.

 

Je m’infecte en m’injectant

mes frères bactériens

 

chaque être

qui a existé

coule dans nos veines

 

nous coulons à travers les leurs

 

et devenons lumière

flottant dans le cosmos

parmi d’énormes chaînes de carbone.

 

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