Entretien avec Joumana Haddad au Liban !
Zohra Belghiti
Zohra Belghiti a eu l’honneur d’interviewer Joumana Haddad, une grande femme Libanaise, en juin au Liban.
Joumana Haddad nous accueille dans son bureau en plein cœur de la ville de Beyrouth. Cette femme très sociable et ouverte, nous fait découvrir son univers de femme passionnée de littérature.
Après avoir présenté notre association, Joumana Haddad débute la discussion en nous parlant de son désir/besoin d’écriture qui est apparu dans sa vie à un jeune âge, vers l’âge de 12-13 ans. Dans son enfance, elle s’adonnait beaucoup à la lecture, lui permettant de s’échapper d’un contexte de guerre, de violences, de destruction et d’étreinte dans lequel elle vivait. Pour elle, la lecture était une question de « survie » jusqu’à ce qu’à ce qu’à un moment, elle ressente un besoin d’expression qui lui est apparu comme quelque chose d’inné. Elle a commencé par écrire des petites nouvelles et de la poésie pour laquelle elle a beaucoup d’affection. Elle se dit « amoureuse de la poésie ». Ses premiers écrits étaient essentiellement en langue française, fuyant l’arabe, elle « avait peur de dire ce qu’elle dit en langue arabe ». Ce n’est qu’à partir de l’année 1998 en tant que journaliste, qu’elle commence à écrire en arabe. Une année importante car elle se sent « réconciliée avec cette langue ».
Joumana Haddad se définit comme une femme sensible qui a vécu des frustrations dans sa vie. Elle se livre à nous, en nous disant que ce n’est qu’à l’aube qu’elle se sent capable de donner quelque chose d’essentiel, de vrai. Elle se couche très tôt, vers 19h30-20h et se réveille vers 3h du matin. « Car à partir de 11h-12h, je me sens souillée. Me lever tôt c’est pour moi comme si je me désintoxiquais de ce que j’ai vécu pendant la journée.»
Elle a publié son premier livre de prose « J'ai tué Schéhérazade » où elle exprime son sentiment de colère. Elle nous explique avoir eu envie d’en finir avec une Schéhérazade qui raconte ses histoires pour sauver sa vie. Il fallait désormais qu’elle raconte ses histoires pour le plaisir de les raconter. En écrivant ce livre, et vu son écriture très personnelle (elle écrit souvent en « je ») elle s’est demandée si ce livre Suite au succès de son livre, elle décide de poursuivre l'écriture. Elle apprend que le « moi » est un « moi partagé » et que de nombreuses personnes finalement peuvent avoir vécu des expériences et des souffrances semblables aux siennes. « C’est beau de partir de ce moi insignifiant et de pouvoir toucher le monde. J’ai trouvé ça vraiment formidable », dit-elle. Joumana Haddad ajoute qu’elle ressent réellement « le besoin de me partager avec l’Autre, de faire don de moi, de plusieurs parties de moi pour m’enrichir. Parce que quand l’on donne, on reçoit. Chaque livre a été pour moi l’occasion de m’enrichir, de mûrir, d’apprendre. Et c’est cela qui est beau !». Elle passe ensuite à l’écriture d’un 2e livre qui met à l’honneur Superman, ou selon elle, le cliché d’un homme arabe fort qui peut sauver le monde. Ce qu’il faut, dit-elle, c’est réinventer ces 2 figures fortes qui représentent la féminité et la masculinité. Elle clôturera prochainement cette trilogie avec un nouvel ouvrage intitulé « Le troisième sexe » qui sera publié en septembre 2015 en langue arabe.
Joumana Haddad est une femme qui s’expose par les mots. Elle est une femme controversée qui se livre pleinement. Elle ose aborder des thématiques tabous et mal vues par le monde arabe pour avancer sur les questions du rapport au corps, la sexualité, l'érotisme. « A chacun et chacune de me recevoir comme il/elle veut », dit-elle fermement. Elle ajoute « qu’elle ne ressent aucun besoin de se réconcilier ni de se sentir responsable de quoi que ce soit. Se réconcilier voudrait dire que je devrais m’excuser de qui je suis pour plaire aux autres.»
Au sujet de l’érotisme, Joumana Haddad dit manifester beaucoup d’intérêt pour ce sujet. Elle a lu de nombreux ouvrages érotiques tels que le Marquis de Sade et possède même une grande bibliothèque érotique chez elle. Au moment où elle décide de créer une revue, elle se dit qu’il serait intéressant de se pencher sur la question du corps, d’où l’appellation de sa revue « Jasad » qui signifie « corps », pour avant tout réfléchir ensemble sur ces questions et non pas les résoudre, le tout dans la langue arabe. « Nos corps arabes sont kidnappés par tous ces tabous, par la peur, la dictature. Le corps n’est pas que charnel, il est politique et social aussi » dit-elle. Elle avance que l’érotisme est un sujet qui a été très développé dans la tradition arabe, principalement par des hommes et qu’aujourd’hui, les Arabes ont rompu avec ce patrimoine-là. Pour elle, le plus important est de remettre à jour cette continuité, de placer l’érotisme dans ce nouveau contexte contemporain et de faire parler les femmes sur le sujet.
Joumana Haddad a des thèmes de prédilection sur lesquels elle travaille : la religion en faisant référence à la laïcité, au système patriarcal, le post-féminisme, le genre, la liberté (d’expression, de pensée, d’être et d’être accepté/e comme l’on est et de vivre sans ce regard oppressant sur soi). De plus, « l’art et la littérature sont des domaines qui me fascinent » affirme-t-elle.
Nous remercions chaleureusement Joumana Haddad de nous avoir reçu et de nous avoir consacré ce moment riche en partage et en confidences !
Joumana Haddad, née Salloum le 6 décembre 1970 à Beyrouth, est une écrivaine, oratrice et journaliste libanaise, militante pour les droits des femmes. Depuis 2014 elle est annuellement sélectionnée2 comme l’une des femmes arabes les plus influentes au monde par le magazine Arabian Business (position 34 en 2017), pour son engagement culturel et social.